Rechercher pour créer, créer pour rechercher (Medicarium, 1)

Il y a un peu plus d’un an maintenant que je travaille sur un jeu vidéo. Évidemment, il s’agira d’un jeu vidéo d’histoire. Et quitte à parler de quelque chose, autant puiser dans ce que l’on connait : le jeu parlera d’une société savante à Metz au XIXe siècle. Voilà ce que j’en dis par ailleurs :

AMM 5I 52-57 (Fondation, correspondance, membres)
(Photographies J. Bazile)

Medicarium propose un voyage dans les traces écrites du passé. Devant vous, un manuscrit mystérieux qui propose une exploration à livre ouvert dans la ville de Metz au XIXe siècle. A l’intérieur, de nombreux dessins, documents, lettres, mémoires et imprimés d’époque issus des archives d’une illustre société savante, la Société des sciences médicales du département de la Moselle.

A vous de naviguer dans ses marges, entre ses lignes, au travers des mots qui lui donnent sa substance. Au fil des pages, vous entendrez les échos de figures du passé, résonnant dans plus d’une vingtaine de lieux historiques. Collectez artefacts, pensées, idées et curiosités pour découvrir ce qui se trouve au-delà du papier. Et, peut-être, percer un secret oublié.

Initiative d’une petite équipe d’amateurs, le développement de ce jeu est au coeur d’un projet expérimental de recherche-création qui vise à étudier le rôle de la recherche documentaire appliquée à la conception d’un jeu vidéo à thème historique. Prenant place dans un monde vu au travers du filtre d’un microcosme de savants, le jeu aborde les thèmes de la sociabilité et de la vie associative, de la confiance dans le progrès et la science. Projet de « création critique », le développement Medicarium doit permettre de documenter et étudier la façon dont des sources historiques les plus « brutes » possibles (le fond d’archive) peuvent être abordées, triées, sélectionnées dans le cadre d’un projet de création vidéoludique.

L’objectif est de participer à la discussion sur la conception de jeux vidéo d’histoire en proposant plusieurs contenus (a minima, un jeu et une publication scientifique). Ce projet cherche à se positionner à la fois sur des questionnements historiographiques et médiatiques. Comment les sources historiques sont-elles sélectionnées ? Au moyen de quels dispositifs techniques, selon quels critères et dans quel contexte sont-elles découvertes, collectées, échangées, exploitées dans le processus de conception ? Qu’est-ce qui rend un matériau, un document ou une donnée davantage susceptible à être mise en jeu ? Que deviennent les documents d’archive sous l’effet de la mise en jeu, et quel discours sur le passé constitue une production vidéoludique, au regard du traitement réservé aux sources ? Quelle est enfin le rôle de la fiction et de l’interprétation artistique dans la conception vidéoludique ?

Présentation du projet Medicarium, J. Bazile, 2019

Mes objectifs sont multiples. D’abord, prendre plaisir à découvrir des outils et un moyen d’expression. Prendre le temps de me mettre « de l’autre côté » du processus de conception ; n’ayant été jusqu’ici que joueur, j’ai toujours été intéressé par l’idée de pouvoir moi aussi fabriquer et proposer des expériences de jeu, inspirées de celles qui m’ont marqué.

J’ai aussi une ambition « scientifique », ou plus exactement expérimentale. L’idée derrière ce projet est de confronter des idées à une réalité technique et logicielle, à me mettre en face de problématiques de game design afin d’observer comment il m’est donné de les résoudre. Quelle solution vais-je employer ? Où vais-je plier ? Que vais-je concéder, et pourquoi ? Tous ces questionnements me ramènent à mes travaux de thèse : il s’agit finalement de comprendre le faire, d’observer un artisanat, un objet en cours de construction, d’aller dans les plans de montage et dans les documents pour approcher le jeu vidéo par un autre bout.

Ma contrainte principale est d’embrasser le plus possible les possibilités du medium vidéoludique et les limitations de mes sources. Je cherche à transposer, le plus « littéralement » possible, des photographies issues des fonds d’archives messins dans un jeu, et en faire des objets de jeu. Cela ne se fera évidemment pas tout seul : il va me falloir les présenter comme tels, les positionner dans l’environnement du jeu, les ceindre de musique, de dessins, renseigner sur les interactions possibles, et enfin rendre ces interactions invitantes, engageantes et signifiantes. C’est tout l’objet de cette conception singulière ; le jeu s’inspire de faits réels, mais cherche plus encore à les mettre en avant en intégrant dans le logiciel jusqu’à la preuve-même. Je cherche à faire de la matérialité des sources une variable à part entière de la conception vidéoludique, et ma foi, je verrai bien ce que ça donnera.


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